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Nouveau spectacle de Dieudonné, l'antidérapage contrôlé

L'affaire Dieudonnédossier
«Libération» a assisté au nouveau spectacle de Dieudonné, «Asu Zoa». L’humoriste continue à se présenter en «résistant», l’antisémitisme violent du «Mur» en moins... les sous-entendus en plus.
par Sylvain Mouillard et Dominique Albertini
publié le 15 janvier 2014 à 0h33

Que reste-t-il du Mur, le spectacle de Dieudonné interdit par arrêtés préfectoraux un peu partout en France ? Beaucoup de choses, finalement, a-t-on constaté au théâtre de la Main d'or, mardi soir. Privé de scène à Nantes jeudi dernier, l'humoriste avait promis une nouvelle performance s'inspirant «de mythes ancestraux et de croyances primitives» africaines. En réalité, le nouveau texte - Asu Zoa, soit «la face de l'éléphant» en langue ewondo du Cameroun, pays du père de Dieudonné M'Bala M'Bala - reprend pour l'essentiel la trame de son prédécesseur.

Mais l'humoriste-polémiste, condamné à de multiples reprises pour antisémitisme, en a expurgé les passages les plus violents à l'encontre des juifs. Le mot n'est d'ailleurs pas prononcé une seule fois durant les soixante-dix minutes de représentation. La charge contre Patrick Cohen, le journaliste de France Inter dont Dieudonné regrettait qu'il n'ait pas connu «les chambres à gaz», a également disparu. Tout comme la référence explicite au mur des Lamentations, contre lequel l'ancien comparse d'Elie faisait mine d'uriner.

Finie aussi l'opposition frontale entre les deux faces de ce mur, présent physiquement sur scène et symbolisant la frontière entre une certaine servitude et la liberté : d'un côté, «Hollywood, le show-business, les médias, la merde» ; de l'autre, «les ronces, les cailloux, la liberté, nous». La métaphore est maintenant adoucie. L'antisémitisme latent de Dieudonné, qui multipliait les références au «grand rabbinat», à «kippa-city», au «maître esclavagiste banquier» ou encore à la «juiverie», s'est largement estompé. Le supposé «lobby» censé tenir le monde «politico-médiatique» n'est plus si présent.

Silences

Plutôt que d'aborder le sujet frontalement, Dieudonné joue sur les silences et les sous-entendus, avec l'air ravi du sale gosse provocateur. Il annonce qu'il ne pourra pas chanter «Shoahnanas» : qu'importe, puisque chacun dans la salle peut en fredonner silencieusement les paroles. Il explique bien qu'il ne peut en dire trop long sur Patrick Cohen : on se souvient aussitôt de ses précédentes réflexions sur le sujet. On lui a reproché de dire sa sympathie pour Pétain ? Il ne parlera que de ce chef d'Etat «à casquette et moustache, façon Super Mario». A la place des mots, les sous-entendus, les silences complices, les références connues de tous. Et une «quenelle» de temps en temps.

Explicitement ou non, le propos est souvent politique, bien que Dieudonné se défende de toute «concurrence mémorielle», notamment entre les victimes de l'esclavage et celles de la Shoah. Les spectateurs, abreuvés du contenu du précédent spectacle dans les médias, auront compris : il y a des choses dont «on ne peut pas parler». Le polémiste excelle dans l'art de souder sa communauté : il y a «eux», et il y a «nous». Après tout, ses fans ne risquent-ils pas «la prison» en s'aventurant à la Main d'or, le repaire du diable ? Leurs portraits ne sont-ils pas affichés sur le «mur des cons» du syndicat de la magistrature, comme ceux de «60 millions de Français» ?

Quant à l'Afrique, elle n'occupe pas la place centrale et nouvelle qu'annonçait l'auteur du spectacle. Certes, plusieurs sketchs, souvent drôles et bien servis par son talent d'imitateur, mettent en scène des personnages noirs : un tirailleur sénégalais envoyé au casse-pipe par l'armée française en 1914-1918 ; un suprémaciste antillais célébrant la supériorité des «chocodermes» sur les «vanillodermes» ; un Camerounais spécialisé dans la vente d'enfants aux couples homosexuels européens. Si les adversaires de Dieudonné jugent qu'il «ne fait plus rire personne», la salle, elle, est hilare.

Sifflets

Elle gronde, en revanche, quand Dieudonné incarne Alain Jakubowicz, le président de la Licra, à qui l'humoriste réserve un «Au-dessus, c'est le soleil». Doigt levé, yeux plissés, lèvres pincées, cette mimique imagée signifie que lorsqu'on parle de certains sujets, la Shoah surtout, on s'attaque à ce qu'il y a de plus sacré.

«BFM TV» écope aussi de quelques sifflets. Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur, n'est pas épargné, tout comme le président de la République. A la fin du spectacle, le public reprend le nouveau chant de ralliement de Dieudonné, qui remplace désormais le sulfureux «Shoahnanas» : «François, la sens-tu, la quenelle qui se glisse dans ton c… !» Les quelque 250 spectateurs sont aux anges. Avant de repartir, ils sont invités à acquérir le DVD du Mur - «il est interdit de vente, c'est un label de qualité», vante son auteur.

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