Marc Trévidic : « Les citoyens sont efficaces contre le terrorisme s’ils ne deviennent pas paranoïaques »

03 juin

Category: PRESSETags:

by SPCJ
Marc Trévidic : « Les citoyens sont efficaces contre le terrorisme s’ils ne deviennent pas paranoïaques »

Par Annabel Benhaiem
Huffington Post (15/10/2016)

Depuis les attentats de 2015, nous développons des réflexes de repérage et d’auto-défense insoupçonnés.

Un hommage national est rendu aux victimes de l’attentat du 14 juillet à Nice, ce samedi 15 octobre. Parce qu’une vague terroriste endeuille le pays, force est de constater que les Français deviennent plus vigilants et développent de nouveaux réflexes. Ils participent activement au repérage d’individus dont le comportement leur semble suspect.

En septembre, c’est un étudiant qui a repéré le comportement suspect d’un jeune homme aux abords de l’université de Rouen. Lequel, on l’apprendra plus tard, était fiché S, et a cherché à rejoindre la Syrie. Il l’a suivi jusqu’à sa voiture pour noter sa plaque d’immatriculation. Puis a appelé les autorités.

Quelques jours plus tôt, un serveur a signalé à la police une voiture remplie de bonbonnes de gaz près de l’église Notre-Dame à Paris. En août 2015, dans le Thalys Amsterdam-Paris, un jeune de 28 ans a essayé de s’interposer contre le terroriste armé d’une kalachnikov, mais il s’est fait violemment repousser. L’action conjointe de trois Américains et un Britannique ont permis de le neutraliser.

« Une époque où les terroristes tuent »

Depuis les attentats de 2015, nous développons des réflexes de repérage et d’auto-défense insoupçonnés. Que l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic nous encourage à aiguiser.

« Ces preuves de vigilance sont indispensables et nécessaires », analyse le juge lors d’une interview avec Le HuffPost, « car nous vivons une époque où les terroristes tuent. Le temps des prises d’otage où il valait mieux garder son calme est révolu. Aujourd’hui, une personne qui sort une arme s’en sert. »

« La population doit s’adapter à cette menace. Et en amont, apprendre à repérer un comportement anormal, une voiture abandonnée, un sac à dos ou une valise sans propriétaire. »

« En 1995, pendant la vague d’attentats, se rappelle le juge, un postier remarque un colis suspect dans une poubelle au métro Maison blanche à Paris. Il prévient un agent de police qui en se penchant devine une bonbonne de gaz. Il crée un périmètre de sécurité, quand soudain une grosse explosion retentit, blessant une dizaine de personnes. Cet homme qui a fait le premier repérage nous a évité de nombreux morts. »

Les délations sont préjudiciables au travail des autorités

Mais le juge d’instruction qui travaillait au parquet antiterroriste pendant le 11-Septembre tient à ce que chacun garde la tête froide: « À l’époque, nous recevions des signalements délirants du type ‘cet homme a une barbe et un kamis’ (vêtement long traditionnel musulman) ou bien ‘un avion a rasé notre maison’ alors qu’il s’agissait d’un épandage en pleine campagne. Or, ces délations sont très préjudiciables, car elles noient les informations intéressantes. D’autres s’amusent de la situation, comme ces deux jeunes irresponsables qui ont déclenché l’alerte attentat à Paris. »

D’autant plus irresponsables que la menace d’attentat est vive. Et les tentatives de petite ampleur nombreuses. « Quand on a des jeunes de 15 ans, des femmes, qui font des tentatives d’attentats, précise Marc Trévidic, il ne faut pas conclure au terrorisme pulsionnel, parce que ces personnes attendent toujours l’autorisation de passer à l’acte. Et le donneur d’ordres recherche des acteurs de moindre ampleur pour occuper les services de police et de justice et amoindrir leurs capacités de prévention et d’enquête. Occuper l’espace, brouiller les pistes, pour finir par taper un énorme coup. »

Ne rien concéder

Le juge évoque la possibilité d’un 11-Septembre français. « Ils veulent frapper très fort. Ce qui nous ferait le plus mal, ce serait un attentat dans une école. Aussi, la population a son rôle à jouer. Elle doit veiller à ce que les portes des écoles soient toujours bien refermées et surveillées par une caméra. Les écoles doivent dessiner des voies de repli pour les enfants. »

Les établissements sont, en grande majorité, équipés de ce dispositif et leur rentrée de septembre s’est faite sous tension avec les nouvelles mesures anti-attentats. Alors, rester sur le qui-vive, ne rien concéder, apprendre de nouveaux réflexes, en sommes-nous capables quand nous n’aspirons qu’à la sérénité?

« Se tenir prêt à chaque instant »

Marc Trévidic confirme les recommandations des héros du Thalys, qui, un an après la tentative d’attentat déclaraient au HuffPost: “Tout le monde doit se tenir prêt à chaque instant”.

Endosser le rôle d’acteurs de la sécurité nationale, d’après Christophe Caupenne, ancien commandant de police, « c’est une bonne chose ». « Nous devons inverser cette tendance qui consiste à voir des choses qui vont de travers et à ne pas faire remonter l’information », explique-t-il au HuffPost.

Stages d’auto-défense

L’ex-chef du pool négociation du RAID concède cependant qu’être sur le qui-vive « est usant ». Selon lui, « ceux qui restent trop longtemps dans cette posture risquent l’épuisement. Pour bien faire, il faudrait que l’on se mette en alerte uniquement dans les situations à risque. Si l’on s’approche d’un attroupement ou d’une zone commerciale, cela devient intéressant d’éveiller ses sens. »

Afin d’éviter l’obsession, Christophe Caupenne préconise les stages d’auto-défense. « Ils permettent de dépasser le stade de la peur et de faire accepter au cerveau une part de danger plus importante. Face à un agresseur, on est alors capable d’adopter une posture qui soit plus déterminée ». A l’instar de cet homme qui s’est agrippé à la portière du camion de Nice le 14 juillet dernier, pour tenter de l’arrêter.

Modifier l’intuition

Il est prouvé scientifiquement que seuls 15% d’entre nous sont en capacité d’affronter les agresseurs en cas d’attaque terroriste. 15% ont le réflexe de prendre la fuite. Mais les 70% restants restent bloqués et passifs face à la menace. Ces stages pourraient augmenter notre résistance au stress, pour être plus efficaces sur le terrain. Cependant, la témérité peut s’avérer dramatique. On se souvient de Yohan Cohen, mort à l’Hypercacher, abattu par Coulibaly, parce qu’il avait tenté de s’emparer de l’une de ses armes.

L’essentiel est aujourd’hui d’apprendre à évaluer les risques et les actions à mener. Et en ce qui concerne la surveillance de son environnement, « les citoyens sont efficaces contre le terrorisme s’ils ne deviennent pas paranoïaques », précise le juge Marc Trévidic, « ni n’appellent à la délation, encore moins ne déversent leur haine. Ces comportements nuisent au travail des autorités ».

Source : Huffington Post